Henri Matisse
alchimiste transformateur de la réalité négative en Eden poétique
Le jeune Henri
Matisse , âgé de 26 ans, vient d'emménager au 19 quai saint-michel à
Paris. Il contemple à loisir " les trois baigneuses " de Cézanne, une
toile de Gauguin " tête de garçon"accrochée au mur , un plâtre de Rodin "
le buste de Rochefort"posé sur le dessus de la cheminée auprès d' un
chapeau fait par sa femme , Marguerite, dont le portrait fera scandale au
salon d'automne de 1905.Que de chemin parcouru depuis les cours donnés par
Gustave Moreau dans son atelier fréquenté par les futurs complices de
l'aventure fauviste jusqu'à cette découverte de l'oeuvre de Gauguin.
Dès ses premiers tableaux , Matisse fait preuve d'une technique où
l'oeuvre dite de "débutant" n'existe pour ainsi dire pas. D'emblée la
composition est en place, la couleur apparaît déjà dans toute sa
splendeur. Dès 1897, il peint "la desserte". Gustave Moreau, son
professeur, indulgent mais excellent critique, découvre ce qu'il y a de
révolutionnaire dans cet essai et déclare " Laissez faire! ses carafes
sont bien d'aplomb sur la table et je puis poser mon chapeau sur leurs
bouchons. C'est l'essentiel."
Matisse n'hésite pas à se plonger dans l'étude de ceux qui lui sont
proches par la sensibilité: Chardin, Watteau, Rodin, Manet et Cézanne . "
Il faudrait être bien niais pour ne pas regarder dans quel sens
travaillent les autres ... Il m'est arrivé d'accepter les influences.
Mais, je crois avoir su toujours les dominer ." déclare-t-il. Choix qui en
dit long sur les goûts artistiques de Matisse et les influences qu'il fait
siennes à ses débuts .Matisse coloriste, ramène la diaprure du prisme à
quelques tons simples et évidents qu'il combine en à-plats ou en accent
concentrés. Du trait ramené à son principe expressif, il dégage
l'arabesque, incisive ou tremblante, musicale; de la couleur, il tire de
ballet de tons, où tantôt les figures se répètent selon un thème
décoratif, tantôt un rouge ou un bleu exécutent un pas isolé. La femme nue
sera le thème préféré, avec ses formes, puis ce sera la femme vêtue avec
le jeu des étoffes, des bijoux, du décor."Matisse est possédé par cette
préoccupation: Matisse tient compte du rectangle formé par son papier
quand il dessine écrivait-on dans la grande revue le 25 décembre
1908.Cette revue ajoutait que matisse étudiait son dessin pour que les
blancs laissés entre les bords du papier et le trait noir forment une
ornementation expressive.
Matisse, ce forcené de la couleur
devient le chef de bande, la bande des fauves....
un peu à la façon
dont Manet s'était vu 40 ans plus tôt porté à la tête des
impressionnistes. Homme discret, bourgeois par excellence , Matisse se
retrouve, en effet, promu porte-drapeau des fauves et la cible numéro un
des critiques. Et pourtant, il est loin de vouloir choquer. Matisse ne
songe qu'à reconstituer le paradis et à l'imposer à ces contemporains dans
ce XX ème siècle voué aux massacres et aux violences. Ce n'est pas le
moindre paradoxe de son oeuvre."luxe, calme et volupté" " la joie de
vivre" sont placés sous le signe du bonheur arcadien des bergers et des
bergères évoluant dans un Eden de rêve.
Le Fauvisme
Plaçons-nous devant un
tableau fauve, de préférence un de ceux des années
1905-1907.Ce qui nous frappe d'abord à son spectacle, c'est le
chromatisme. Éclatant, hurlant même, il ne parvient à cette intensité que
parce que le peintre s'est servi uniquement de tons purs, qu'il n'a ni
mélangés ni rompus, et qui, unifiés sur leur note la plus haute, sont
exaspérés par le contraste établi entre chacun d'eux.Apparente, laissée
soigneusement en évidence, la touche concourt encore à hausser la couleur
et parvient à une expressivité brutale.Simple le dessin est à la fois
suggestion et arabesque. La perspective, le modelé, le clair-obscur
s'abolissent.Pas de nuances.Un art simple qui atteint d'autant mieux
l'effet recherché qu'il est plus franc, plus concis. Faire ces
constatations, ce n'est pas pénétrer l'esprit du fauvisme.Tâchons de
remonter à ses débuts;
C'est au cours de l'été de cette
même année 1905 que Matisse découvre l'oeuvre tahitienne de Gauguin à
Collioure. C'est le choc. la plus grande partie des toiles sont
entreposées chez Daniel de Monfreid un ami du sculpteur Maillol.Matisse
en prend une vue d'ensemble. Le Gauguin de Pont-Aven et d'Arles peignait à
plat sous l'influence japonaise de grandes surfaces rythmées dans des
contrastes de couleurs violentes; Celui de Tahiti et des îles marquises y
marie l'innocence primitive, et pose un regard particulier sur cette
société originelle. Ce même été, Matisse rompt les enchaînements qui le
relient jusque-là. Il n'applique plus les couleurs au motif, mais comme le
souligne Pierre Schneider, "il livre le motif aux couleurs". Matisse et
Derain compagnons dans cet été décisif à Collioure passent d'une synthèse
des découvertes antérieures faites par Seurat, par Van Gogh et par Gauguin
à une méthode radicale où l'ivresse de la couleur les entraîne vers des
horizons qui frôlent "l'abstraction".
Cette visite à Collioure aura été le creuset du fauvisme. C'est là que
Matisse et Derain ont exécuté leurs toiles les plus vigoureuses . en
particulier cette "fenêtre ouverte à Collioure" dans laquelle
Matisse opère la fusion du pointillisme de Seurat et des aplats de Gauguin
. C'est la naissance d'un thème qui ne fera que s'enrichir pour devenir
fondamental. Matisse emploiera la technique de Gauguin pour faire le
portrait de sa femme coiffée du chapeau fleuri , cette fameuse "femme
au chapeau"qui devait faire fureur au salon d'automne. Elle sera aussi
reprise par Derain pour réaliser "la danse".
La bande des fauves
comprenait Dufy, Marquet, Vlaminck qui dira:Ce
qu'est le fauvisme? c'est moi. C'est ma manières de cette époque.. Derain
je l'ai sans doute contaminé , Camoin, Manguin et Puy,Rouault.Friesz ,
Marinot et Valta. Le destin du fauvisme s'achèvera deux ans après le
scandale du salon d'automne de 1905. Chacun des fauves se dirigera vers
d'autres horizons plus personnels. Ainsi, Marquet orientera sa peinture
vers une contamination de l'impressionnisme et du fauvisme . Pour Vlaminck
et Derain le renoncement à l'aventure sera précédé par une période de
recherches, au cours de laquelle un cézannien fier donnera à leur nouvelle
manière un bel accent, viril et dense. Vlaminck peindra ses paysages
solidement construits dans un chromatisme qui glissera peu à peu du bleu -
le pont de Chatou de 1910 - à des terres et des verts relevés de noir et
de blancs livides - la maison de l'auvent de 1920 - . Derain fera un bout
de chemin avec Picasso - cadaquès de 1910 -.Seuls Matisse et Dufy auront
persévéré dans la direction initiale; Dufy avec sa baigneuse de 1914 ,
Matisse avec la danse de 1909, la conversation de 1911.
La leçon que cette bande de fauves aura donné en si peu de temps laissera
des traces profondes que l'on retrouvera chez les expressionnistes
allemands, chez les russes comme Malevitch et Kandinsky, chez Soutine,
chez Klein, chez Tapiés jusqu'au sein de certains courants de l'art
abstrait américain comme Sam Francis c'est à dire chez tous ceux qui ont
cru ou qui croient sur l'impact de la couleur. " le fauvisme ce n'est pas
tout, mais c'est le fondement de tout" dira Matisse à Georges Dutuit
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Notes Biographiques
1869 31 décembre Naissance d'Henri Matisse
au Cateau-Cambrésis
1892 s'inscrit au cours de
Gustave Moreau où il rencontre Marquet et Rouault
1894 -1895
naissance de sa fille marguerite et emménage au 19 quai saint Michel
1898 épouse Amélie Parayre et passe sa lune de miel à Londres où il
découvre Turner.1900 naissance de son fils Pierre. Sa femme ouvre
un magasin de mode 1905 Au salon d'automne éclate le scandale" des
fauves". La femme au chapeau, son tableau qui provoque le scandale
est achetée par les Stein.découvre l'oeuvre de Gauguin à Collioure avec
Derain 1906 présente la joie de vivre aux
indépendants.Visite Biskra en Algérie.Il montre une sculpture nègre à
Picasso 1913 Exposition des peintures et esquisses marocaines
1922 série des odalisques 1930 Le Dr Barnes lui commande la
danse Picasso le reçoit chez lui 1943s'installe à Vence 1944
commence la série des papiers gouachés et collés 1948 se consacre à
la décoration de la chapelle du Rosaire de Vence 1950 Grand prix de
peinture de la XXVe Biennale de Venise 1952 série des nus bleus
1954 3 novembre meurt à Nice et repose dans le cimetière de
Cimiez
Repères
chronologiques
1896-1898neo-impressionnisme1900-1903sculpture1904-1908fauvisme1909-1910
cubisme1911-1913 voyage au
Maroc1914-1917abstrait1918-1921art-déco1922-1930odalisques1931-1939danse1943-1952papiersgouachés
Matisse Picasso
pôle nord pôle sud
: La
rencontre
"Matisse
et Picasso se sont rencontrés chez les Stein en 1906.Juste avant le
salon des indépendants. "il y avait de l'excitation dans l'air... Ce fut
Matisse qui attira l'attention de Picasso sur l'art nègre juste à l'époque
où ce dernier venait de terminer mon portrait ". relève Gertrude Stein en
1933. Les deux hommes se guettent, s'épient, se vouent une admiration
profonde , teintée de jalousie écrit Pierre Daix dans son ouvrage sur
Picasso. Ce dernier a découvert avec étonnement l'exposition des fauves au
salon d'automne de 1905 où la couleur triomphe. Picasso en est au rose
après le bleu qu'il vient de laisser. Il a vu
"le bonheur de vivre " de
Matisse acheté par les Stein et aussi l'exposition individuelle de Matisse
chez Druet. Nul doute que c'est par ces nouvelles fréquentations que
Picasso commence à intégrer les problématiques cézaniennes à ses propres
problèmes. A cette époque là, Matisse
théorisait déjà beaucoup, Picasso s'exprimait très mal en français.Il
était un peu en état d'infériorité.Par la suite les relations se sont
équilibrées.Ils parlaient beaucoup de l'importance de Cézanne ou de Manet.
Ils avaient beaucoup de célèbres peintres en commun, à commencer par
Ingres et Delacroix.Le premier pour Picasso, le second pour Matisse.Ils
avaient une admiration mutuelle pour Cézanne; La fameuse rétrospective de
1905 au grand palais a été une révélation pour toute leur génération.Leur
opinion était très différente vis-à-vis de l'avenir.Picasso affirmait la
nécessité de la rupture d'une génération à l'autre.Il donnait l'exemple de
Monet à qui on demandait vers 1918 ce qu'il pensait du cubisme; il
répondit "du moment que c'est différent de ce que nous faisons, ça vaut la
peine". l'image de ses aînés, Picasso se lance dans une série de
statues peintes sur ses toiles. Matisse simplifie les volumes de ses
sculptures " la petite Tête, la grande figure décorative". Derain comme
l'a montré Jean Laude porte une double réflexion sur le cézanien et l'art
nègre et y découvre une parenté,notamment sur le constructivisme et la
forme structurale ; Ce lien permettra de renouveler la peinture et la
sculpture.
Au
cours de leurs cheminements différents et en confrontant leurs travaux et
leurs réflexions ,ces trois peintres vont oser rompre les liens qui
unissent leur peinture à l'art imitatif . Une émulation entre eux va alors
se créer . Il va en sortir "le nu bleu, souvenir de Biskra" de Matisse , "
les baigneuses " de Derain, et " les demoiselles d'Avignon" de Picasso.
Auparavant, Matisse avait peint " le bonheur de vivre " reflet total de
Gauguin pour les couleurs mais aussi d'Ingres pour la composition. Cette
oeuvre est considérée comme l'une des sources de l'Art du XX ème siècle,
au même titre que" les demoiselles d'Avignon".
Le" bain turc " d'Ingres avait influencé Matisse dans sa composition
du "bonheur de vivre"; "les demoiselles d'Avignon " considéré comme la
première peinture cubiste s'est inspiré de l'oeuvre de Matisse et de celle
de Derain.Matisse, Picasso , deux grands rivaux qui ont
joué le plus grand rôle dans la peinture du XX ème siècle. L'un , le chantre de la couleur faisant
écho à l'autre, le briseur de formes.
Le portrait de Marguerite (1907)
"Le
portrait de Marguerite (1907) qu'il donna à Picasso fut fait sans aucune
mauvaise intention.Matisse ne craignait pas de montrer son incompétence
devant les grandes lois de la peinture. Ce tableau exprimait son
innocence. Certes la bande à Picasso, Salmon en-tête et les autres s'est
beaucoup moquée de ce tableau.Picasso lui avait donné en échange une
nature morte avec un citron, je crois. Mais les amis malveillants de l'un
et de l'autre ont dit qu'ils avaient fait un échange de leurs tableaux les
plus faibles. À mon avis, c'était totalement faux. Ce qui intriguait
mutuellement, Picasso et Matisse, ce n'était pas
ce qu'ils pouvaient réaliser de plus fort, c'était ce qu'il y avait de
plus irréductible dans chaque œuvre, Par exemple, l'aspect le plus naïf,
le plus innocent, le plus vulnérable que pouvait prendre Matisse de temps
à autre, et inversement ce constructivisme extrêmement intellectuel qui
était l'une des grandes forces de Picasso.Ils ont échangé les tableaux qui
étaient les plus étrangers a l'autre. Pendant l'Occupation, Picasso avait
mis le Portrait de Marguerite à la banque. Par la suite, en 1946, il
l'avait rapporté rue des Grands Augustins parce qu'il savait que je
l'aimais beaucoup. Il m'a dit qu'en 1907, à l'époque précédant les
Demoiselles d'Avignon, alors qu'il essayait d'exorciser tout le passé
d'une peinture plus ou moins imitative issue de la renaissance. Dans le
même temps, Matisse, s'était intéressé aux dessins de ses enfants. Il
voulait retrouver cette simplicité. C'est pour cette raison que Picasso
avait voulu ce tableau-là. Il était étonné du courage de Matisse à
rechercher cette simplicité. Tous deux aimaient se mettre en danger par
rapport aux normes acceptables de l'époque."(entretien avec Françoise
Gilot compagne de Picasso de 1943-1953 réalisé pour le film"Matisse-Picasso"
de Philippe Kohly
Voyages au Maroc
: la révélation
En
1947, Matisse jetant un regard rétrospectif sur son parcours s'écrie:"La
révélation de ma peinture m'est venue de mes deux voyages au Maroc, à
Tanger". il fit ces voyages en compagnie de Camoin et de
Marquet en 1911- 1913.Pour Matisse, le Maroc est un jardin fabuleux dans
lequel il cueille ses couleurs et ses personnages :
Amido, Fatmah la
mulâtresse. Matisse y trouve les thèmes qu'il aborde selon la phrase
célèbre de Maurice Denis "des tableaux tout faits". Matisse reviendra du
Maroc avec une caisse entière de carreaux de céramique murale aux motifs
floraux ou géométriques. La série d'odalisques qu'il réalise en 1921-1928
porte un décor oriental qui applique le conseil de Gauguin:"Ô peintres qui
demandez une technique de la couleur, étudiez les tapis. Vous trouverez là
tout ce qui est sincère".
Les papiers gouachés et
collés1943-1952
Dessiner
avec une paire de ciseaux devenait la nouvelle forme de son art."Il n'y a
pas de rupture, précise-t-il entre mes anciens tableau et mes
découpages"Il associe l'arabesque à la couleur jusqu' à réduire une
toile à ces 2 modes d'expression.Ayant quelques difficultés à manier la
couleur, il recourt à des papiers préalablement gouachés qu'il découpe à
son gré.Ainsi prendra naissance l'extraordinaire
album de "jazz" publié en
1947 sous le titre "improvisations chromatiques et rythmées". Matisse les
commente "découper à vif dans la couleur me rappelle la taille directe des
sculpteurs"
La danse
1931-1939
En
1927 Matisse est comblé d'honneurs. Il obtient le prix Carnegie le plus
prestigieux des prix internationaux. Au cours de sa visite à Pittsburg il
rencontre le dr Barnes qui possède une des principales collections
américaines. Ce dernier lui propose d'effectuer une grande décoration
murale dans le palais qu'il vient d'édifier pour ses collections. 52 m2,
placés au-dessus de fenêtres, donc dans une lumière faible, en 3 alveoles
en arc. Matisse propose de traduire la peinture en architecture, de
faire de la fresque l'équivalent du ciment ou de la pierre. La fresque
qu'il réalise corrige l'architecture. Cette danse, Matisse l'avait en lui
et l'avait placée dans la joie de vivre (1906), puis dans la la
première grande composition qu'il réalisa pour Chtchoukine (1909-1910). La
première tentative est un échec, il doit remanier, retoucher les couleurs;
le gris des piliers n'est pas attrayants pour lui le chantre de la
couleur.Il se remet au travail; l'exemple de Giotto l'encourage. La
fresque est remaniée et menée à son terme. pour résoudre son problème,
Matisse a eu l'idée d'employer des papiers de couleurs découpés qu'il peut
ainsi changer de place à volonté jusqu'à ce qu'il trouve le bon
emplacement. Matisse utilisa ce procédé pour réaliser Les
acrobates du jazz (1952); Ce procédé devenant une technique
personnelle. La danse est un des points d'orgue dans l'oeuvre de Matisse
d'où découlent toute une série de toiles et de gouaches découpées.
Galerie
des oeuvres de Henri Matisse
portant sur la période fauve,
orientaliste,danse et papiers gouachés: 23 oeuvres présentées
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